Le Fab Lab La “SHOP”, un lieu d’exploration ouvert et stimulant pour tous
Par Fanny Joseph
18 août 2022 — Collaboration, Créativité, Fab Lab, Hub physique, Organismes innovants — 12 min
La “SHOP” communauté entrepreneuriale est un projet porté par le CJEAO de La Sarre depuis 2015. Il s’agit d’un local adapté à la création et au développement de microentreprises en Abitibi-Ouest.
On y trouve de nombreux outils, technologies, logiciels et stations de travail pour découvrir, créer et se former. Des ateliers sont proposés afin de permettre la découverte des outils sur place et d’échanger sur divers sujets tel que l’entrepreneuriat. Avantage numérique s’est entretenu avec Sébastien Bélisle, le directeur général du CJEAO, et Stéphanie Guilbert, la chargée de projet à l’entrepreneuriat pour le CJEAO et la responsable de La “SHOP”. Ils nous ont expliqué comment ils aident et mobilisent la population, les étudiants ainsi que les jeunes du Programme de Préparation à l’Emploi (PPE) à en apprendre plus sur divers domaines et ainsi découvrir leur voie.
AV – Pouvez-vous nous expliquer ce qu’est un Fab Lab et nous présenter La “SHOP” ?
Sébastien B. – Un Fab Lab est un laboratoire de fabrication, c’est un espace de créativité ouvert à la population. Les gens viennent explorer différentes techniques de fabrication pour se les réapproprier.
Stéphanie G. – La “SHOP” communauté entrepreneuriale, c’est un Fab Lab où l’on trouve plein d’outils technologiques pour travailler. On encourage la création de projets, le développement entrepreneurial, c’est aussi un plateau de travail pour la préparation à l’emploi. Les gens travaillent deux à trois jours par semaine pour découvrir ce qu’iels aiment. La “SHOP” permet donc d’aider la population, c’est un tiers lieu qu’on veut le plus accessible possible. Le but est de créer une communauté, de faire des liens entre tous les gens qui utilisent les différents médias et machines. On fait aussi des ateliers qui sont ouverts à tout le monde pour la découverte. Les gens repartent avec leur création.
Une partie de notre public ce sont les jeunes dans les écoles pour leur faire découvrir des choses, des métiers, des techniques, leur faire développer l’entrepreneuriat à travers nos locaux. Le but est de les outiller avec ce qu’on a comme machines. On leur donne la formation de base, mais on espère qu’iels dépassent le maître, puis qu’iels apprennent d’autres choses, qu’iels viennent plus souvent et que ce soit elleux qui nous en apprennent.
AV – Quel est le lien entre le CJEAO, La “SHOP” et les jeunes ?
Sébastien B. – La “SHOP” est un projet du CJEAO. Le CJEAO est un organisme qui existe depuis 25 ans avec pour mission l’intégration sociale et professionnelle des jeunes. Là-dedans il y a tout le côté persévérance scolaire, le développement de la culture entrepreneuriale et le développement social. On veut que notre milieu soit accueillant et dynamique Ce sont ces actions-là qui font qu’on a choisi de créer La “SHOP”. Stéphanie et Kenn Lambert travaillent pour le CJEAO mais surtout pour La “SHOP”.
Stéphanie G. – Il y a plusieurs intervenant·es du CJEAO qui utilisent le plateau de travail pour la persévérance scolaire. Ce qui est le fun c’est qu’on recrute des jeunes dans les écoles et on leur fait découvrir un tout autre monde. C’est une manière de les sensibiliser à la culture entrepreneuriale et de les rattacher à quelque chose. On veut leur trouver des passions pour qu’iels continuent à l’école, mais qu’iels aient quand même leur petit moment à elleux où iels viennent créer. Ce sont avec nos intervenant·es en persévérance scolaire que l’on fait ça. Sinon on collabore avec les Comités de Jeunesse en Milieu Rural (les CJMR). On crée des projets, soit on apporte le matériel chez elleux, soit iels viennent ici, ça dépend des projets.
AV – Pouvez-vous nous parler d’un projet qui a particulièrement bien fonctionné auprès des jeunes ?
Stéphanie G. – Cette année, on a fait un gros projet qui a été très satisfaisant pour les jeunes. Je travaille en entrepreneuriat avec les jeunes de la Polyno et on a créé un parascolaire où ce sont les jeunes qui ont choisi leur projet à développer. On a fait du brainstorming, on a divergé, convergé, puis choisi trois gros projets différents. J’avais 25 jeunes qui venaient ici toutes les semaines pour créer ensemble. À partir de leur projet on se demandait comment on allait pouvoir les montrer au public. On a discuté de la possibilité de participer à l’événement provincial “La grande journée des petit·es entrepreneur·euses” ce qui a abouti à la création du “Marché des petit·es entrepreneur·euses d’Abitibi-Ouest”. Puis, on s’est dit, tant qu’à avoir 25 jeunes qui vont être là, pourquoi ne pas inviter toute la population puis tous les autres jeunes d’Abitibi-Ouest à y participer. L’événement des petit·es entrepreneur·euses c’est de 5 à 17 ans, nous on s’occupe plus de la portion 12-17 ans, mais on voulait inviter tout le monde. On a fini notre projet avec 80 petit·es entrepreneur·euses qui se sont joints à nous formant 38 petites-entreprises, et nous on en avait quatre là-dessus. C’est vraiment le fun de voir que les jeunes embarquent et qu’un petit projet en fait naître plein d’autres.
Sébastien B. – Aussi, l’année passée, on a fait un podcast vidéo. On a fait 25 épisodes avec un groupe de jeunes du secondaire 5, ça s’appelait L’intercom Jaune. L’idée c’était de regrouper des jeunes ensemble, iels étaient 6-7. On leur posait une question un peu humoristique puis après ça une question un peu plus songée sur l’actualité, les enjeux politiques autour d’elleux… On voulait connaître leurs opinions. Ça a vraiment permis quelque chose de beau, on a 25 épisodes très cool où les jeunes sont super généreux·euses, iels se livrent et partagent leur point de vue sur plein de sujets différents.
Stéphanie G. – Il y avait un bel échange. On voit que notre jeunesse a beaucoup à dire, qu’elle s’intéresse et souhaite s’exprimer sur divers sujets. C’est le fun de pouvoir partager avec eux ! Les podcasts sont disponibles sur le compte YouTube du CJEAO.
AV – C’est beau d’avoir ça en région ! Qu’est-ce qu’en disent les gens ?
Sébastien B. – Les commentaires qu’on a sont super positifs. Le défi qu’on a encore, c’est qu’il n’y a pas tout le monde qui sait que La “SHOP” existe. On a quand même eu deux ans de confinement, on ne pouvait pas faire des activités grand public, on fonctionnait sur inscription avec un maximum de 10 participant·es, et ça dépendait des mois. Donc ça, c’était plus difficile ! Le défi qu’on a encore c’est de la faire connaître. Les 25 jeunes du projet parascolaire vont le dire à leurs parents, à leurs ami·es donc ça c’est cool. Il faut continuer à faire des efforts de communication puis on repartira ça prochainement après la petite pause estivale. Les gens qui viennent ici et qui se sont approprié l’espace sont content·es, iels sont fier·ères, iels reviennent nous voir avec des idées. On sent que ça brasse en Abitibi-Ouest, c’est positif !
Stéphanie G. – Ça arrive souvent que les jeunes reviennent même hors du parascolaire. Iels vont passer une ou deux fois dans la semaine, soit juste pour faire coucou, soit pour faire un projet à elleux. Iels ont vraiment un sentiment d’appartenance une fois qu’iels ont franchi la porte et qu’iels ont appris un peu comment ça fonctionne. Les jeunes reviennent et iels en parlent. Iels en parlent vraiment beaucoup parce qu’on aurait pu être plus que 25, mais malheureusement, pour des raisons de logistique on n’en a pas pris plus, mais l’année prochaine je sais qu’on va pouvoir faire plusieurs groupes.
Sébastien B. – On est un peu limité dans l’espace, on a beaucoup de stock. On ne rentre pas tous dans nos espaces, c’est trop petit. Donc un de nos défis serait de trouver un espace plus grand, mais on n’est pas encore rendu là.
AV – Comment fonctionnent les inscriptions ? Est-ce que les jeunes s’inscrivent à l’année ou bien les équipes évoluent à chaque projet ?
Stéphanie G. – Le parascolaire était un projet pilote. Au départ, le projet était sur 4 jours. On faisait l’apprentissage et l’expérimentation de nouvelles méthodes et procédés. Puis finalement, les jeunes ont dit qu’iels aimeraient bien continuer jusqu’à la fin de l’année. Il fallait savoir quels étaient nos projets avant d’aller recruter, mais avant, il fallait qu’on ait une petite équipe cible pour savoir quels projets les intéressaient. C’est là qu’on est entré dans le processus entrepreneurial pour développer ce qu’iels voulaient faire. Nous sommes partis d’un petit groupe de 8 qui à travers ont choisi de développer trois entreprises distinctes, soit une savonnerie, la création d’accessoires de Grandeur Nature (GN) et la fabrication de chandails uniques et personnalisés. Ce qui est trippant là-dedans c’est que ce n’est pas nous qui choisissons, c’est vraiment par les jeunes pour les jeunes, nous les guidons et évaluons la faisabilité avec eux, mais c’est eux qui prennent la décision finale. Nous sommes ensuite directement allés recruter à l’école et, victime de notre succès, nous avons arrêté nos recrutements à 25 pour des raisons d’espace et de logistique.
AV – Est-ce que vous pouvez nous parler de comment vous aidez les jeunes qui sont en décrochage scolaire ?
Sébastien B. – Comme disait Stéphanie, souvent les jeunes à 13-14 ans ont des difficultés à se projeter dans le futur et savoir ce qu’iels veulent faire dans la vie. Il y en a qui le savent très jeune, mais si ce n’est pas un métier que tes parents font, des fois c’est plus difficile de savoir vraiment. Puis des fois on rencontre des jeunes qui ne savent pas vraiment ce qu’iels aiment. Donc on veut utiliser ici l’outil qu’est le plateau entrepreneurial pour leur permettre de vivre des expériences. On veut qu’iels découvrent que ça, iels n’aiment pas ça, mais c’est correct iels le savent maintenant, ou de l’autre côté qu’iels découvrent ce qu’iels aiment. C’est pour ça qu’on essaie d’aller dans toutes les directions possibles, autant dans le numérique, dans la fabrication que dans l’analogique. Si le·a jeune, en faisant une boîte en bois et la finition, se rend compte qu’iel aime travailler avec ses mains, toucher le résultat final et qu’iel est fier·ière de ça, peut-être que ça va allumer un intérêt professionnel. Cet intérêt-là va devenir un facteur de motivation à l’école. Quand tu sais un peu ce que tu veux faire plus tard, mais si tu ne sais pas directement, ça va quand même t’aider à te motiver le matin et comprendre pourquoi ton cours de science est pertinent, car tu rêves de devenir ingénieur·e un jour. Si toi, ce sont les arts qui t’intéressent, il y a peut-être des parties de tes cours de français ou d’histoire qui touchent à l’art.
Stéphanie G. – Puis sans découvrir nécessairement le métier, ça se peut que ce soit juste une aptitude qu’iel découvrira. Pour prendre l’exemple du sablage, si la personne aime vraiment ça, elle est patiente, minutieuse, bon et bien qu’est-ce qui est rattaché à la patiente et à la minutie qui pourrait être explorée ? On essaie d’avoir une bonne attention au niveau de ça pour les jeunes.
Sébastien B. – Il y en a qui vont découvrir qu’iels aiment communiquer, donc finalement iels aiment faire un podcast et parler. D’autres vont se rendre compte que c’est le service à la clientèle, qu’iels aiment ça quand iels ont la chance d’expliquer à des potentiels clients et collaborateurs ce qu’iels ont fait et comment iels l’ont fait. Iels peuvent découvrir plein de choses sur elleux.
C’est tellement important aussi les soft skills, la capacité de travailler en équipe, la capacité de résoudre des situations parfois un peu stressantes ou problématiques, ou de la résolution de problème, des trucs comme ça. Comprendre comment communiquer avec tes ami·es, dire que ce n’est pas comme ça que tu voyais les choses au début, et tout à coup, il y a comme un petit conflit, comment tu peux gérer ça ? Ce sont des attitudes vraiment le fun et qui vont être très utiles dans ta vie future, autant dans tes études que ton travail futur. Ce sont des choses intéressantes que tu apprends quand tu as les mains dedans.
Stéphanie G. – À la “SHOP”, on travaille le savoir-être et le savoir-faire autant en plateau de travail (PPE) qu’avec les jeunes en persévérance et en parascolaire.
Sébastien B. – On a un service de soutien à la persévérance scolaire au CJEAO. Notre intervenant responsable c’est Dominic Fortugno, et souvent il vient ici la semaine avec des jeunes qui n’ont pas de motivation, iels sont sur le bord de décrocher à l’école. Iels ont un peu un deal, s’iels font des efforts à l’école et que ça se passe bien, iels peuvent être libéré·es et venir avec Dominic pour explorer des choses ici. Et ça, on voit vraiment que ça fonctionne, tout à coup, iels ont une belle carotte, iels veulent venir à leurs activités ici, c’est positif !
AV – Comment le projet est-il financé ?
Sébastien B. – Au niveau du financement, actuellement c’est le CJEAO qui supporte le projet. On a eu l’aide de quelques partenaires financiers au début, comme Desjardins, la ville de La Sarre, mais on est toujours à la recherche de partenaires. Ça, c’est un peu dommage, parce qu’actuellement, il y a un réseau de Fab Lab au Québec, il y a, je pense, une vingtaine de Fab Lab dans le réseau québécois dont on fait partie. Et il n’y a pas de financement pour soutenir ce genre d’initiative là. On est à bout de bras avec des commandites puis on quête, on cherche toujours à gauche et à droite. Le loyer est difficile à payer. On est persuadé que notre projet fonctionne, on le voit quotidiennement dans les remerciements qu’on a, dans les évaluations de satisfactions, dans la réussite éducative des jeunes, etc., mais malgré ça, il n’y a pas d’outils et de financement actuellement. Je pense qu’il se trame quelque chose présentement avec le ministère du Développement économique pour soutenir les Fab Lab ou les espaces de créativité dans les régions du Québec. J’espère que ça va se passer, car ça serait vraiment dommage de perdre ça en Abitibi-Ouest, il n’y a pas tant d’autres milieux qui ressemblent à ça.
Stéphanie G. – Malgré la pandémie, notre Fab Lab a été un levier pour beaucoup de jeunes et de gens qui ont brisé l’isolement. La population générale a pu profiter de ça. On veut que ça persiste et on veut que ça évolue et qu’on puisse offrir toujours de plus en plus de services, donc c’est important de trouver du financement pour tout ça.