Coworking 176, une école du 19e siècle métamorphosée en espace de collaboration

Par Jeanne Perrin
14 juin 2022 — Art, Collaboration, Hub physique — 7 min

École primaire réaménagée en espace de collaboration pour les techno-créatif·ves, Coworking176 est un lieu de connexion et de croissance pour les artistes mais aussi pour le milieu de la médecine et des entrepreneur·euses. Avantage numérique est parti à la rencontre de Richard Fortin, le fondateur de Coworking176, afin de comprendre les processus qui ont permis la transformation de cette école du 19e siècle en espace collaboratif innovant.

AV – Peux-tu nous parler de l’histoire du bâtiment avec lequel tu as créé Coworking 176 ?

RF – Cette propriété est la première école de la région, elle a beaucoup d’histoire. Fondée en 1884, c’était une école primaire qui s’appelait Tweedsmuir School et dont les classes allaient de la première à la sixième année. Il m’est souvent arrivé d’entendre de la part d’un·e client·e ou d’une personne avec qui je travaille : « Ça, c’était ma classe, je suis venu·e ici quand j’étais plus jeune ! Je n’aurais jamais pensé la voir comme ça un jour ! ». Finalement, quand le gouvernement a transformé l’éducation, Tweedmuir School est devenue une école de trop, et c’est là que notre famille a décidé de la racheter et de la redévelopper.

 

AV – Comment es-tu parvenu à récupérer cette école ?

RF – Quand j’ai déménagé du centre-ville de Toronto à North Bay, j’ai convaincu mon père, qui était agent immobilier, d’acheter une école ou une église et de la convertir en espace de collaboration. On voulait accueillir les artistes, les entrepreneur·euses et les entreprises de bien-être, et je voulais que la fonction des espaces de coworking dans le futur soit encore plus dynamique, novatrice et utile pour nos communautés. À North Bay, il y avait des écoles vides et on s’est dit qu’elles avaient besoin d’être utilisées de manière créative. Tweedmuir School était désaffectée depuis deux ans et j’ai rapidement compris tout son potentiel. C’était comme un rêve, je m’imaginais déjà faire plein de projets au sein de cet édifice. L’école était en vente et ma famille a déposé une offre. On a été chanceux, on s’est rapidement procuré le bâtiment, il y a cinq ans environ. On a alors fait notre première exposition d’art tandis que l’école n’était pas encore rénovée. En plus de tout ça, des Franco-Ontarien·nes ont pas mal financé le projet Coworking176.

 

AV – Quels ont été les enjeux de transformation d’une école en espace de coworking ?

RF – Notre défi était de prendre un concept qui marche à Sudbury, à Rouyn, à Toronto ou encore à Montréal, et de le faire fonctionner aussi à North Bay. Nos cultures et nos économies sont différentes, et donc nos marchés sont différents. On a dû s’adapter à notre environnement, en prenant une idée vue autre part et en faisant en sorte qu’elle fonctionne ici aussi. Contrairement à une grande ville, où beaucoup d’éléments sont déjà présents pour construire un projet comme celui-ci, on a dû prendre notre temps et trouver des locataires à court mais aussi à long terme. Trouver des locataires à long terme est un enjeu important, surtout quand on a besoin de faire une demande de financement auprès de la banque. On a fini par trouver une juste balance, et une caisse populaire nous a supporté·es et nous a aidé·es à financer l’idée.

Racheter l’école est une chose, mais il faut aussi réussir à l’adapter à nos besoins. Par exemple, il n’y avait pas d’air conditionné à l’origine, car l’école n’était pas ouverte l’été, et il a fallu y ajouter la fibre, car on travaille avec des client·es qui ont besoin d’une connexion internet efficace. On dessert beaucoup d’infrastructures numériques, comme des compagnies de marketing ou de post-production. On voulait être certain·es qu’on avait les éléments techniques et technologiques permettant d’accueillir toutes ces entreprises du futur.

 

AV – Aviez-vous des règlements ou des normes à respecter au niveau gouvernemental ?

RF – Aucune réglementation ne nous a vraiment posé problème. Mais effectivement, il y a toujours certaines spécificités à prendre en compte, par exemple au niveau de la cuisine. Si on avait souhaité mettre en place une cuisine industrielle, avec de la nourriture commercialisée, on aurait procédé différemment que pour une cuisine uniquement utilisée en interne et de manière individuelle. Il faut faire attention à beaucoup de détails comme celui-ci, mais aucune norme n’a été trop compliquée à gérer pour nous autres.

AV – Quels changements majeurs ont été apportés à l’école ?

RF – On a refait les lumières, toute l’électricité et certains murs comme ceux de la galerie d’art. On a créé une salle d’enregistrement, avec plusieurs couches de murs pour l’isolation du son, et on a construit une salle à écran vert. Tout a été refait à l’intérieur, il ne reste que l’extérieur qui pourrait être un peu modernisé, comme le jardin qui a aussi été transformé et qui possède maintenant une cour. Le projet Coworking176 n’est pas encore fini, il évolue en continu. On a modifié l’école en rénovant une salle de classe à la fois, et maintenant, soit cinq ans plus tard, tous les espaces intérieurs sont occupés.

 

AV – Quels sont les espaces que l’on peut maintenant trouver à Coworking176 ?

RF – Il est maintenant possible de louer et d’utiliser trois salles de réunion communes. Ces espaces de rencontres sont aussi utilisés dans le but de donner des cours ou des formations. Au début, on n’était pas certain·es que les gens les loueraient, mais ces lieux sont finalement pas mal occupés. On peut de plus trouver des bureaux de docteur·e et des espaces communs qu’on nomme les hot desks. Ils comprennent eux aussi des bureaux, et, bien que certaines personnes s’y installent de manière assez régulière, le concept est de les laisser à disposition de celles et ceux qui auraient besoin dans la journée d’internet, d’un espace de travail ou de faire une entrevue par exemple. Tout est sous vidéosurveillance, Coworking176 est un espace bienveillant où les personnes ont l’habitude de laisser du matériel sans qu’on ait jamais eu de problème avec ça.

On a aussi une salle d’enregistrement et un studio fond vert, ainsi qu’un jardin avec une cour où les gens peuvent aller s’informer, relaxer, faire une conférence de presse ou tout autre chose qui leur plaît. La cuisine est disponible pour tout le monde. Elle comprend même un espace de coworking où on a l’habitude d’organiser de nombreuses activités comme des 5 à 7.

S’ajoute à ça une galerie d’art, qui correspond aux couloirs auxquels tout le monde a accès et qui change tous les deux mois environ. Pour ça, on a collaboré avec le Nipissing Region Curatorial Collective qui gère aussi notre makerspace, c’est-à-dire un espace de création artistique où on met en place différents projets. Les artistes ont donc à disposition ce lieu et gèrent la galerie d’art, qui nous permet aussi de vendre les oeuvres de créateur·trices locaux·ales.

AV – Quels sont les avantages de créer un espace de coworking au sein d’une école ?

RF – Pour moi, l’avantage de travailler dans un espace comme celui-ci, c’est la communauté. On rencontre nos ami·es à midi dans la cuisine, on se parle autour d’un café, on partage, puis on s’encourage. La magie arrive souvent de manière subtile. Des gens qui n’avaient pas de connexion auparavant se mettent tout à coup à prendre du temps ensemble et à collaborer, ça arrive naturellement, c’est un peu organique. Ça me fait toujours penser à une école, où chacun·e rentre pour suivre ses cours mais où beaucoup d’amitiés et de connexions se forment dans les couloirs, au dîner ou à la récréation. On se sent bien parce qu’on est avec nos ami·es, ce sont ces connexions qui nous amènent à avoir une vie qu’on aime.

AV – As-tu des projets futurs concernant Coworking 176 ?

RF – Je pense qu’on a pour l’instant une base solide. Ça nous a pris cinq ans pour l’obtenir, et on peut maintenant essayer d’y ajouter des éléments artistiques. On a fait l’électricité, les murs et les lumières, on peut maintenant faire les sculptures, les jardins, et organiser plus d’activités et d’évènements. J’ai hâte d’utiliser cette infrastructure pour inviter la communauté à venir puis à comprendre les bénéfices de tels espaces.

 

AV – Si tu devais recommencer le projet du début, qu’est-ce que tu changerais ?

RF – J’essaierais probablement de mieux gérer mes attentes. J’ai vécu au centre-ville de Toronto pendant neuf ans, là où les enjeux, l’énergie et la concentration de gens et de technologies sont vraiment différent·es d’ici. J’ai appris qu’il faut s’adapter à son environnement. Forcer toujours plus n’améliore pas nécessairement la situation, il faut parfois se laisser du temps pour que les choses se mettent en place naturellement. Il faut être patient·e, prendre son temps et accepter les évènements comme ils sont. Tout le monde pense que tu es fou·olle parce que tes projets ont échoué trois ou quatre fois auparavant, mais tu continues d’avancer, parce que tu crois en tes projets. Des tâches qui d’après moi auraient dû durer trois mois ont finalement pris trois ans, mais ce n’est pas grave, c’est comme ça qu’on avance. Je pense qu’on a tous·tes besoin d’être un peu fou·olles, et de se dire « si tu as un projet en tête, fonce, fais-le ! ».

Crédits photos : Fanny Joseph