Pendant ce temps, sul’channel à matante Thérèse…

Par Maude Labrecques-Denis
19 avril 2019 — Citoyenneté numérique, Éthique, Texte d'opinion — 4 min

Ceci est un texte d’opinion inspiré par la table ronde du 29 mars portant sur l’éthique et la citoyenneté numérique animée par Louis-Paul Willis, professeur en création et nouveaux médias et directeur de la maîtrise en création numérique. Invités : Pascal Lapointe, rédacteur en chef de l’Agence Science-Presse, Catherine Mathys, directrice de la veille stratégique au Fonds des médias du Canada et Josée Plamondon, spécialiste des systèmes d’information et des bases de données.


Je l’avoue, j’ai déjà réagi à une vidéo sans la regarder. J’ai aussi commenté des posts sans avoir la moindre idée du contexte d’origine. J’ai répandu des opinions comme si c’était des faits, et ça m’est sûrement arrivé, au moins une fois, de partager un article sans l’avoir lu.

Oui, j’ai mal agi. Mais hey… que celui qui n’a jamais péché me jette la première pierre!

Nous nous sommes tous, à un moment ou à un autre, laissés embarquer dans ce tourbillon des réseaux sociaux qui attise nos passions et flatte nos égos. Heureux d’avoir enfin une tribune, nous prenons sans gêne le micro mais laissons le devoir de rigueur derrière. On banalise les effets de ce laisser-aller, on se justifie de toutes les façons possibles, on se déresponsabilise.

J’appellerais ça de « l’ignorance volontaire collective ».

Il serait facile de mettre la faute sur les réseaux sociaux. Mais attention : la philosophie du « toutes les opinions se valent » était déjà bien ancrée dans nos sociétés, le web n’a fait que l’exacerber. Les grands médias, sous leurs airs de vierges offensées, y ont grandement contribué : chroniqueurs-choc, lettres ouvertes, panels de « spécialistes » (l’uniformité en ce qui a trait à la crédibilité des intervenants n’étant clairement pas un facteur de sélection), culte de la catch phrase… Résultat? « Une étude a démontré que le pesticide Untel est cancérigène » et « une soucoupe volante aperçue au Missouri », même combat.

Attendez, non… la soucoupe volante a beaucoup plus de like.

Sans qu’on ait eu le temps de s’en rendre compte, nous voilà soumis au régime de vérité des géants : l’engagement pour Facebook, la popularité pour Google, la validation pour Wikipédia, etc. On va même jusqu’à développer, et ça c’est plutôt inquiétant, une aversion pour les discours scientifiques. Un terme a d’ailleurs été inventé pour ça : épistémophobie. Il s’agit d’un réflexe qui s’apparente à la théorie du complot dans sa façon de permettre à l’individu de « se soustraire à la réfutation » (merci Wikipédia). En d’autres termes, c’est une façon de se fermer à tout discours divergent, et ultimement de se légitimer à répandre des faussetés.

Ignorance volontaire collective… et active.

Nous voilà maintenant pris dans une bruyante cacophonie et dans un chaos perpétuel où il devient difficile de discerner la réalité de la fiction. Mais comment s’élever devant les fake news et « faits alternatifs » de ce monde alors que tous les produisent et les consomment?

Selon les invités de la table ronde Éthique et citoyenneté numérique, ça passe avant tout par la sensibilisation et l’éducation. On parle d’une « alphabétisation numérique », soit une éducation citoyenne sur le langage, les codes et les modes de fonctionnement des médias numériques qui permettrait aux citoyens d’être mieux outillés devant ces géants qui occupent une place prépondérante dans notre quotidien. Et ça devrait commencer dès l’enfance, être inscrit à même les programmes scolaires.


« Il existe des professeurs qui, sur une base individuelle, font de la littéracie numérique. Mais on est à des années- lumière d’avoir des outils et des fiches pédagogiques pour organiser tout ça. »
— Pascal Lapointe, rédacteur en chef de l’Agence Science-Presse

Lapointe pose ici une question déterminante pour la suite des événements : qui prendra la responsabilité de cette alphabétisation numérique? On parle d’une responsabilité partagée, mais comme dans tout problème qui ratisse large dans la société, la gouvernance et le leadership font défaut. Sans compter que le phénomène est encore mal compris par la plupart des gens.


« Parmi ceux qui nous gouvernent, combien comprennent le numérique? »
— Josée Plamondon, spécialiste des systèmes d’information et des bases de données

Il existe dans le monde des exemples inspirants d’actions concertées autour de la question de la littéracie numérique. Par exemple, en France, la semaine de la presse et des médias dans l’école regroupe des gens de toutes les sphères et leur permet de réfléchir et d’échanger autour de ces enjeux. Mais ces initiatives sont encore embryonnaires et parsemées, alors que les grandes plateformes s’érigent déjà au-dessus des gouvernements.


Il y a un darwinisme numérique. Si on ne s’adapte pas, on va se faire inféoder
— prévient Mme Plamondon

Il n’y a pas de solution miracle : chacun devra faire ce qu’il peut, comme il peut. Mais en attendant que tout ça s’organise, voici déjà quelques trucs à appliquer sur une base individuelle pour éviter la propagation des fausses nouvelles :

  • Lire les articles avant de les partager
  • S’assurer de la crédibilité des sources
  • Faire une petite recherche Google pour valider la véracité des informations qui semblent trop incroyables
  • Diversifier ce qui s’affiche dans nos fils de nouvelles (les outils de préférences d’affichage peuvent aider en ce sens)

Et je vous en prie, évitez de croire tout ce qui passe sul’channel à matante Thérèse.