/sous la surface, une installation de Dave Gagnon

Par Communauté Avantage numérique — Visuel par Dave Gagnon
6 août 2020 — Art, Créativité, Numérique, Wikipédia — 10 min

Du 07 au 29 août, Dave Gagnon présentait son œuvre /<souslasurface>* au Centre d’exposition d’Amos. À cette occasion, nous nous sommes entretenus avec Dave à propos de cette œuvre. Dave Gagnon entretient une pratique reliée aux arts numériques en parallèle de son travail dans le domaine du cinéma d’effets spéciaux. Actuellement basé à Montréal, il est également membre du trio de performance audiovisuelle falaises.

*Dans cet article, A.N. signifie Avantage Numérique et D.G. signifie Dave Gagnon.

A.N. : Parle-nous un peu de ton parcours.

D.G. : J’ai grandi en Abitibi à Dubuisson, j’ai fait mon art plastique à Rouyn-Noranda, avant de poursuivre des études en 3D au centre National d’Animation et de Design (NAD) de Montréal, ce qui m’a mené à travailler professionnellement sur de nombreuses productions cinématographiques au cours des 17 dernières années (Captain Marvel, Deadpool 2, Avengers: Infinity War, Doctor Strange, Fantastic Beast, Guardians of the Galaxy, Mommy, Juste la fin du monde, 19:2, La Face Cachée de la lune).

C’est un milieu bien stimulant sur le plan créatif et technologique, mais c’est aussi beaucoup d’heures devant l’ordinateur. Je me suis donc progressivement redirigé vers des compléments plus concrets : projections architecturales, projections sur dômes, expériences immersives (Le Moulin à Images, Montréal en Lumière, Dôme 360°, Fresque de Nuit…).

Dans les dernières années, c’est l’installation et la performance audiovisuelle qui captent mon attention. Depuis, mon travail à titre d’artiste indépendant fut notamment présenté dans le cadre de Manif d’art, du Mois Multi (E27), au Musée national des beaux-arts du Québec et au Festival PHOS. Au sein du trio de performance audiovisuelle Falaises, j’ai eu la chance de me produire aux festivals AKOUSMA, ELEKTRA, MUTEK, et récemment en France (Stereolux), Suède (Intonal), Portugal (Gnration), Espagne (LEV) et Japon (MutekJP). Bref, ça rejoint d’avantage mes racines en arts visuels et j’aime bien rouler des fils.

A.N. : Présente-nous ton œuvre / <souslasurface>

D.G. : /<souslasurface> en est à sa 4e version, il y a eu différentes itérations au cours des trois dernières années.  C’est un projet intégrant des notions d’art web, de programmation et d’électronique qui explore la correspondance entre l’activité numérique en ligne par rapport à la présence des utilisateurs à son origine.

Le dispositif est composé d’une installation et d’un volet web qui répondent à la fois aux visites dans la salle et au trafic virtuel en temps réel.


Dans le cadre l’œuvre, le spectateur est témoin d’une transposition physique de l’activité numérique en ligne, ainsi que de sa propre influence sur le réseau internet.

A.N. : Tu crées donc un rapport de correspondance… Peux-tu nous expliquer comment cela fonctionne? Et d’ailleurs, pourquoi ce nom ?

D.G. : Concrètement, le système accède à Wikipédia et sélectionne des entrées qui y sont faites en temps réel pour les transposer physiquement dans l’installation.

Les écrans disposés au sol sont équipés d’un dispositif pouvant générer mécaniquement des clics. Ainsi, chaque clic physique que l’on peut  apercevoir –sous la surface- des écrans est en fait spécifiquement relié au clic, si on veut, d’un internaute, en temps réel.


Je réfère donc à la surface de l’écran, qui constitue autant la limite que le pont entre les plans physique et numérique.

A.N. : La projection est imposante, comment les gens interagissent avec le dispositif ?

D.G. : La projection diffuse le volet web de l’installation. Toutes les données relatives à chacun des clics transposés y défilent. On y voit exactement à quel écran, a été attribué quelle entrée, et à quel moment. Les gens sont invités à utiliser leur téléphone pour s’y rendre en visitant souslasurface.net.


Dans l’installation, le fait de prendre part ou d'observer le flux d'information a un effet sur celui-ci.

Ainsi, visiter virtuellement le volet web de l’installation a un impact physique dans la salle. À l’inverse, la présence physique dans l’installation est numérisée par un capteur de mouvements et renvoyée vers la partie web.

Les deux systèmes reçoivent interactivement la visite du public et se relancent l’un l’autre dans une boucle opérant sur deux niveaux : le virtuel et le physique.

A.N. : Ces données que tu récupères sont archivées ? Peux-tu m’en dire plus ?

D.G. : Oui, dans le même esprit de correspondance les données relatives aux visites de l’installation sont à la fois archivées numériquement sur le serveur et imprimées physiquement sur papier.

Le son caractéristique de l’imprimante matricielle vient se jumeler au crépitement des écrans alors que les deux systèmes d’archivage opèrent en réciprocité.

À chaque présentation un nouveau cadre sera créé, ainsi que sa correspondance en ligne, accessible via un code QR sous chacun d’eux.

Ça vient boucler le raisonnement conceptuel et ajouter une tangibilité que je trouve intéressante pour un projet d’art web.

A.N. : Le son a une connotation importante dans cette œuvre ?

D.G. : Si on veut. En mode installation le son des clics dans la salle crée un crépitement qui peut rappeler celui de la pluie.

Dans ce contexte on pourrait dire une pluie de données, formée de l’intervention des internautes, tous contribuant une petite goutte à un ‘’océan de connaissance’’.

A.N. : Peux-tu me parler de la performance ?

D.G. : Il s’agit d’une performance à caractère musical comprenant l’utilisation du dispositif comme un instrument audiovisuel unique. En fait, j’ai réalisé que le réseau d’écrans qui constitue l’installation forme une matrice mécanisée qui ressemble beaucoup à un séquenceur dans sa configuration.

Je trouvais intéressant que ce dispositif numérique génère des sons acoustiques. Je me suis contraint à n’utiliser aucune trames ni haut-parleurs. Seules les propriétés acoustiques du mécanisme sont exploitées.

C’est la première fois aussi que j’utilise l’espace comme paramètre de composition ; j’ai concentré mon attention à créer des mouvements spécifiquement en rapport à la disposition des écrans sur l’ensemble de la salle. Chacun d’eux correspond à une source de son unique dans l’espace, et le public est invité à se déplacer dans l’installation pendant la pièce pour en faire l’expérience sous différents angles.

La performance d’environ 15 minutes peut avoir lieu de 3 à 4 fois durant une même soirée, dans un contexte jumelé au vernissage.

A.N. : Quelle était ton intention ? Pourquoi Wikipédia ?

D.G. : C’est le rapport de correspondance entre le physique et le numérique qui m’intéressait dans ce projet ; comment ces deux plans parallèles communiquent entre eux à travers la surface de l’écran. Conséquemment, je me suis penché sur la manière dont on accède et transmet l’information dans le contexte numérique actuel et à la façon que ça a bouleversé notre rapport au savoir.

On assiste depuis peu au déversement presque systématique de la somme de l’expérience humaine en ligne: une numérisation collective comparable à un second plan électroniquement superposé. À peu près tout retrouve désormais son équivalence dans le cyberespace.

Fut un temps où les connaissances se passaient dans les communautés de génération en génération… Il était important de transmettre son savoir puisque la mémoire était locale. Locale à la région mais aussi locale à l’individu. Lorsqu’une personne nous quittait, c’était potentiellement toute la richesse de son expertise que nous risquions de perdre. La pérennité de la mémoire était précaire et on se devait de l’entretenir. Puis, avec l’avènement d’Internet on s’est en quelque sorte, numériquement « greffé » une mémoire collective.

Cette technologie a fondamentalement changé la façon dont le passage de la mémoire opère ; de par sa décentralisation mais également de par son caractère (discutablement) impérissable.

On n’a donc plus tellement le rôle de -gardiens- de la mémoire, et on se retrouve beaucoup plus dans une position de -contributeurs- à la connaissance collective à l’échelle planétaire.

En ce sens, un des meilleurs exemples est probablement le projet d’encyclopédie universelle en ligne Wikipédia. Ce site libre de droits est mis à jour à chaque seconde par des milliers d’utilisateurs de partout dans le monde sur une base volontaire dans le but de compiler rien de moins que la somme du savoir et de l’expérience humaine sur une plateforme en ligne.

Collectivement, on peut constater que les capacités cognitives transitent vers une forme assistée par la machine: une intelligence augmentée, globale et commune de part et d’autre de l’écran.

C’est  par le biais de plateformes numériques comme celle-ci que nous progressons désormais indissociablement sur deux niveaux : le plan physique et le plan numérique, ou virtuel.

Bref, ce que l’œuvre transpose de façon poétique est somme toute assez simple et constitue principalement une porte d’entrée vers des échanges entourant les nombreux enjeux liés à Internet et à la révolution numérique au sens large: éthique, censure, neutralité, vie privée, obsolescence, big data, open source, blockchain, réalité augmentée, réalité virtuelle, neural network, soit disant intelligence artificielle, etc.

A.N. :  Selon toi, Internet est-il un miroir de notre réalité ?  

D.G. : On a peut-être initialement tendance à considérer Internet tel un espace où l’on injecte continuellement du contenu… Pourtant, probablement comme la plupart des gens, je ne contribue pas tellement à Internet, mais je m’y nourris abondamment.  On évoque rarement que l’information qu’on acquiert en ligne se transpose également sur le plan physique et vient façonner notre développement et nos créations. Ce projet tente donc de mettre en lumière qu’il s’agit d’une boucle de réciprocité qui s’opère dans les deux sens.

A.N. : Comment définirais-tu ton approche artistique ?

D.G. : Par la proximité inhérente à l’installation, mon approche se caractérise par la place prépondérante qu’occupe l’être humain au sein même de l’œuvre. Je crée des espaces en étroite relation avec le spectateur où les perceptions existent souvent sur des plans distincts mais consécutifs, donnant lieu à des œuvres où les jeux de correspondances visuelles, sonores et interactives sont mis de l’avant.

C’est dans cette continuité que s’inscrit /<souslasurface> : ce projet consolide les différents aspects de ma pratique artistique (projection, installation, audio, électronique, performance) et met en relief le rapport à autrui en faisant suite à des réflexions orientées sur les questions d’interactivité, de virtualité, d’acquisition et de transmission du savoir.

A.N. : Tu te concentres beaucoup sur l’être humain, et plus particulièrement sur la relation entre les spectateurs et les espaces que tu crées. Peux-tu me dire quels impacts cherches-tu à provoquer sur les spectateurs ? 

D.G. : Je cherche surtout à rendre justice aux sujets que j’aborde. Je ne pouvais pas vraiment considérer illustrer la relation actuelle de l’individu à la technologie, les télécommunications, ou même la mémoire collective à la première personne. Non plus créer une œuvre figée dans le temps ou déconnectée de ceux qui la reçoivent ; le spectateur étant au centre du thème, j’avais besoin de cohérence.

Dans ce cas-ci, un rapport clair entre les plans virtuel et physique est engendré par l’engagement particulier d’un public qui se trouve autant sur place qu’en ligne. La technique vient servir le sujet, évitant du même coup le piège d’un certain type d’interactivité parfois dépourvu de vocation conceptuelle ou de portée philosophique.

Les mécanismes de l’œuvre suggèrent en eux-mêmes les rapports de correspondances soulevés par le thème, amenant le spectateur de tout horizon à un questionnement universel orienté sur sa propre perception du rapport à autrui dans le contexte technologique actuel.

A.N. : Ton œuvre que tu considères la plus aboutie et pourquoi ? 

D.G. : Cette version de /<souslasurface>  est définitivement à un stade où j’en suis pas mal content. J’ai l’impression d’être arrivé à une bonne cohésion. Au cœur de ce projet, je suis bien fier de la relation que j’entretiens avec les collaborateurs Raphaël Lanouette (intégration web) et Nicolas Temese (électronique). L’authenticité de l’énergie qu’ils insufflent au projet fait toute la différence. Deux messieurs pour qui j’ai le plus grand respect, qui ont fait preuve d’une grande ingéniosité.

A.N. : Qu’est ce qui s’en vient pour toi, des plans futurs ?

D.G. : Comme tout le monde l’horaire a été un peu bousculé dernièrement. Normalement avec Falaises, nous avions quelques dates en Belgique à l’automne, c’est évidemment reporté. Si tout va bien, nous performeront à la salle Pierre-Mercure dans le cadre de CINARS au printemps. De mon côté, je travaille sur plusieurs projets, entre autres une pièce cinétique avec de la réalité augmentée et une exposition VR collective.

Sinon dans une autre vie, je termine actuellement la post-production du film Suicide Squad 2 et j’ai de quoi me tenir occupé prochainement sur le remake de La petite sirène. (lol)


Visite le profil Instagram de Dave Gagnon.

*Rendu possible grâce au soutien du Conseil des arts et des lettres du Québec et du Conseil des arts du Canada