Comme dans les films de Sci-Fi

Par Maude Labrecques-Denis
28 mai 2019 — Intelligence artificielle, Robot, Texte d'opinion — 5 min

Ceci est un texte d’opinion inspiré par les conférences de Guillaume Bourassa, directeur R&D chez Moment Factory, Catherine Mathys, directrice de la veille stratégique au Fonds des médias du Canada et Sofian Audry, artiste numérique, spécialiste en intelligence artificielle.

 


Ce dont je vais vous parler peut sembler inquiétant, mais pas de panique : on n’est pas dans un film de science-fiction et les machines ne vont pas nous exterminer.

Cette phrase a été prononcée à plusieurs reprises durant les conférences d’Avantage numérique le 29 mars dernier. Et pour cause : intelligence artificielle, réalité augmentée, « numérisation » de l’identité, gouvernance algorithmique et apprentissage automatique font maintenant partie de notre quotidien, et ce n’est pas sans rappeler plusieurs éléments narratifs ayant marqué l’univers de la science-fiction moderne.

Réel vs virtuel : une frontière qui tend à disparaître

Pour vivre des expériences virtuelles, nous acceptons de transmettre une grande quantité de données personnelles qui se retrouvent par la suite stockées dans le Big Data. Que ce soit en autorisant l’accès au système de géolocalisation de notre téléphone, en remplissant nos paramètres personnels sur Facebook, en écoutant des vidéos sur YouTube ou en effectuant une simple recherche Google, nous transmettons de multiples informations que les algorithmes présents sur le web utilisent pour mieux nous « connaître » et nous proposer des contenus adaptés à nos besoins.

Ces algorithmes, extrêmement complexes, reliés entre eux et de plus en plus automatisés, donnent ensemble naissance à un « avatar virtuel » de nous-mêmes qui existe de façon parallèle. Si nous influençons constamment ce qui compose cet avatar, nous ne pouvons pas le contrôler; il est le résultat de la « perception machine » de notre identité.

Ce qui devient un peu flippant, c’est que cet avatar nous influence rétroactivement : dans la composition de nos cercles sociaux (les réels, par les virtuels), dans les produits que nous consommons, dans nos opinons, dans les lieux que nous fréquentons… Ainsi, non seulement les robots ont le pouvoir de s’altérer en fonction de nous, ils nous altèrent en retour. Et à voir les impacts déjà bien réels de la technologie sur notre santé (et selon plusieurs études sur notre évolution biologique), on peut se demander quelle sera la limite de cette altération.

En plus de notre corps, notre environnement se modifie. Chez Moment Factory, fleuron québécois de l’expérience numérique, on crée des univers virtuels qui se superposent à la réalité et avec lesquels on peut interagir, jouer. C’est ce qu’on appelle la réalité augmentée.

Ces univers sont contrôlés par des « robots » (entités mécaniques et algorithmiques) auxquels on fournit des informations personnelles, par exemple notre position géographique ou l’orientation de notre corps, leur permettant de déployer en temps réel un scénario interactif intégré à l’environnement. Les données recueillies sont stockées puis analysées afin de mieux comprendre le comportement des utilisateurs et, ultimement, d’améliorer l’expérience de jeu.

Ici, la machine se déploie dans toute sa splendeur en générant un environnement où réel et virtuel s’entremêlent, pour le plus grand bonheur de nos sens.

Des robots qui apprennent

Les robots nous dépassent déjà largement en ce qui a trait à l’intelligence dite « logique ». Et penser que l’autonomie et la créativité leur sont inaccessibles, c’est ignorer les dernières avancées en matière d’intelligence artificielle.

Lors de sa conférence intitulée L’apprentissage automatique, nouveau territoire de la créativité, l’artiste et chercheur Sofian Audry a abordé la façon dont les robots sont aujourd’hui capables d’apprendre. En gros, on propose à la machine des entrées (pour reprendre son exemple, des photos de chiens), on lui pose une question (est-ce un chien?), on recueille sa réponse (oui/non) et on la corrige lorsqu’elle fait erreur. Au début, les réponses sont aléatoires. Mais à force de constater ses réussites et ses échecs, le robot construit sa propre logique associative (sous forme d’algorithme autogénéré) et devient de plus en plus compétent à déterminer par lui-même quelles images représentent ou non des chiens.

Ainsi, le robot apprend, et l’humain programme sans programmer.

M. Audry pousse sa démarche encore plus loin. Il peut, par exemple, croiser des algorithmes autogénérés pour produire des effets totalement inédits issus de l’intervention mixte de l’humain et des robots. Il observe ensuite comment ces programmes expérimentaux, souvent éphémères, évoluent dans leur environnement et s’y adaptent.

Si les résultats sont encore peu impressionnants (les robots agissent très bizarrement), nous assistons aux balbutiements d’une « vie robotique » autoportante. Et ça, c’est très impressionnant.

La machine et l’empathie

Les machines sont des êtres fondamentalement logiques et en tant que tel, elles privilégieront toujours des paramètres issus de cette « génétique logique ».

Le film Ex Machina d’Alex Garland (2015) met brillamment en scène la façon dont une machine peut en venir à faire preuve d’une extrême habileté relationnelle, facilement méprise pour des sentiments. Dans ce film, le robot (Ava) utilise la créativité et l’empathie, non sans dommages collatéraux, pour mettre à exécution la commande prioritaire qui lui a été induite par son créateur : s’échapper.

Ici, ce n’est pas la machine elle-même qui est mise au cœur du débat éthique, mais plutôt la notion de contrôle sur ce qui est créé.(Ce n’est pas sans rappeler d’autres univers fantaisistes bien ancrés dans notre imaginaire collectif…)

En permettant aux machines d’apprendre, de se développer, d’évoluer, de communiquer et de s’altérer entre elles, on diminue notre influence, notre pouvoir sur leurs actions : on en fait des êtres libres. Dans notre pulsion narcissique à fabriquer des robots à notre image, dans notre désir de voir nos créations s’émanciper et devenir maîtres de leurs actions, qu’est-ce qui nous empêchera de leur induire une conscience de leur propre existence, menant au (logique) réflexe de « survie »?

Science… ou fiction?

De nombreux autres livres, films et séries télévisées abordent la relation humain-machine. Qu’on pense au film Her de Spike Jonze (2013) qui présente l’étrange mais non moins réelle relation amoureuse entre un auteur (Joaquin Phoenix) et un système d’exploitation (Scarlett Johansson), au film Transcendence de Wally Pfister (2014) où un scientifique obsédé par ses recherches sur l’intelligence artificielle (Johnny Depp) télécharge sa conscience à l’intérieur d’un programme informatique, fusionnant du même coup avec l’AI, ou à la plus-que-populaire trilogie The Matrix (1999-2003) où l’humanité en est réduite à un esclavage biologique sauvage visant à servir l’insatiable besoin en énergie des machines, tous présentent une facette du même questionnement : où notre relation de plus en plus fusionnelle avec la technologie nous mènera-t-elle? Et par extension, comment pourra-t-on protéger l’intégrité humaine si on dépend d’entités qui s’organisent selon des paramètres que nous ne pouvons pas contrôler?

Alors que d’infinies possibilités s’ouvrent devant nous, il est normal de vouloir plonger. Mais dans cette course effrénée, nous devrions peut-être prendre quelques instants pour nous demander ce qu’il adviendra de notre humanité.

Tout bien réfléchi… ça ressemble effectivement à la prémisse d’un bon film de science-fiction.